Gâchis

Avec l’innocence et la joie de ses cinq ans,
Sur une plage bondée et devant ses parents
Un grand château de sable provoque l’émerveillement
Il trône au bord de l’eau comme sortit du néant
Gâchis, cette beauté absolue t’insupporte
Avant qu’une photo ne le grave pour sa mère
Avant que les vagues tout doucement ne l’emporte
Comme un diable, il détruit ce palais éphémère.

Avec la passion et l’angoisse de ses treize ans
Si belle, surdouée, plus qu’admirée depuis longtemps
Elle s’éveille à la vie comme une fleur au printemps
Un avenir radieux lui prédisent ses parents
Gâchis, tu refuses ce destin trop bien tracé
Les magazines de mode vont la faire dévisser
Elle ne mange plus, ne rêve que de leur ressembler
Elle finira épaisse comme du papier glacé.

Avec l’insouciance et le rire de ses vingt ans,
Avec ses amis il fait la fête simplement
Ils s’amusent et s’éclatent en ce jour finissant
Ils boivent, fument et profitent tous de l’instant
Gâchis, tu méprises trop ces bonheurs agaçants
Un seul tour de moto pour finir la soirée
Et la vie à jamais prend un mauvais tournant
Pour toujours un fauteuil lui servira de pieds.

Avec l’assurance tranquille de ses quarante ans
Il profite de la vie le plus naturellement
Des amis en pagaille qu’il voit de temps en temps
Une famille qu’il adore, un boulot passionnant
Gâchis, tu redoutes les chemins trop bien tracés
Pour rester dans son job sur une voie ascendante
Il renie un à un ses souvenirs passés
Et finira tout seul, tout en bas de la pente.

Avec la sérénité de ses cinquante ans
Lumineuse et radieuse, le plus naturellement
Au bureau, en vacances ou avec ses enfants
Elle semble bientôt toute proche du firmament
Gâchis, tu crains vraiment cette banalité
Une rencontre imprévue la rend étoile filante
Un simple coup de tête, tout va se déliter
Amis, mari, enfants, subitement elle les plante

Avec les certitudes de ses soixante-dix ans
Il prépare le Noël de ses petits-enfants
Il a profité de la vie en tout instant
Il a été ce qu’on appelle un bon vivant
Gâchis, tu détestes vraiment les fins heureuses
Il s’écroule terrassé au pied de son sapin
Déconnecté de tout, par une artère tueuse
Il ne verra jamais les cadeaux du lendemain.

Gâchis, tu crois toujours avoir le dernier mot
Mais si l’horloge des vies ne tourne que dans un sens
Même en distribuant malicieusement tous ces maux
Jamais tu n’étouffera le cœur des existences
Gâchis ton nom est moche à lire et à entendre
On se remets toujours de tes actions perfides
Pour chaque vie abîmée, plutôt que de nous rendre
On repart de plus belle, plus fort et plus lucide.